Quelqu'un a dit que les victimes d'accidents du travail étaient privilégiées ?
Alors que nombreuses sont les interventions sur la question de la fiscalisation éventuelle des indemnités reçues par les victimes d'accidents du travail, posons nous la question suivante : Le salarié est-il une victime comme une autre ?La question est clairement posée à la lecture comparée des textes relatifs à la Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infractions (CIVI) et de celle des arrêts de la Cour de cassation.
L'article 706-3 du Code de procédure pénale dispose que :
Toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes :
1° Ces atteintes n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n° 2000-1257 du 23 décembre 2000) ni de l'article L. 126-1 du code des assurances ni du chapitre Ier de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation et n'ont pas pour origine un acte de chasse ou de destruction des animaux nuisibles ;
2° Ces faits :
- soit ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois ;
- soit sont prévus et réprimés par les articles 222-22 à 222-30, 225-4-1 à 225-4-5 et 227-25 à 227-27 du code pénal ;
3° La personne lésée est de nationalité française. Dans le cas contraire, les faits ont été commis sur le territoire national et la personne lésée est :
- soit ressortissante d'un Etat membre de la Communauté économique européenne ;
- soit, sous réserve des traités et accords internationaux, en séjour régulier au jour des faits ou de la demande.
La réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime.
Les décisions d'indemnisation ou de refus d'indemnisation sont prises par une commission (voir articles 706-4 et suivants du Code de procédure pénale), la CIVI. S'adresser à cette commission présente un intérêt pour les victimes qui sont confrontées à une situation dans laquelle elles ne pourront pas être indemnisées par l'auteur de l'infraction, qu'il ne soit pas identifié ou qu'il ne puisse être poursuivi, ou encore que, même condamné, il soit totalement insolvable.
A lire l'article 706-3 précité, on pourrait comprendre que :
- Aucun système dérogatoire "global" n'est prévu concernant les salariés victimes d'un accident du travail ;
- Celles et ceux qui peuvent présenter une demande devant le Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante (FIVA - c'est de lui dont parle l'article 53 de la loi 2000-1257)ne peuvent pas accéder à la CIVI ;
- La faute du salarié, comme de toute autre victime, peut entraîner une absence ou une réduction de réparation.
Après avoir reçu des demandes d'indemnisations de salariés victimes d'accidents du travail, la Cour de cassation a décidé de ne plus recevoir ces demandes : elle juge, le 7 mai 2003 (arrêt ici) que la Cour d'appel qui a jugé que "même si les faits poursuivis et réprimés ont constitué par ailleurs un accident du travail, la demande est recevable" s'est trompée.
Autrement dit, les victimes d'accidents du travail ne peuvent plus accéder à la CIVI et voient leurs demandes rejetées.
L'ouvrier victime d'un accident (ou sa veuve !) ne peut plus accéder à la CIVI, et voit son indemnisation limitée par le système de réparation des accidents du travail, qui est un système forfaitaire et exclut par principe l'indemnisation de la totalité du préjudice subi. Sont mieux indemnisées les vicitmes d'accident de la route (par un régime spécial) ou les victimes de violences sur la voie publique (via la CIVI si besoin).
Paradoxe, la Cour de cassation acceptait la demande, mais quand l'employeur n'était pas en cause (agression sur le lieu de travail par une personne extérieure à l'entreprise, à l'occasion d'un bracage par exemple).
Soyons clair, il ne s'agit pas de dire que telle ou telle victime est plus ou moins légitime pour recevoir réparation, juste de constater que la victime d'un accident du travail se retrouve parmi les moins bien traitées.
A la suite de nombreuses critiques, la Cour de cassation, 5 ans jours pour jours après la décision précitée, soit le 7 mai 2009, rend deux arrêts qui marquent un revirement de jurisprudence :
- Un (ici) dans lequel elle accepte la demande d'une salariée victime d'un accident du travail mais avec cette particularité que cet accident était lié à une faute intentionnelle de l'employeur ou de l'un de ses préposés (pour tout dire la salariée avait été violée par son supérieur - à croire auparavant que la femme violée dans un parking par un inconnu méritait une meilleure indemnisation que celle qui avait été violée par son chef) ;
- Un autre (là) dans lequel elle accepte d'indemniser une personne (tante ayant élevé l'enfant) qui ne peut être indemnisée au titre de la législation sur les accidents du travail (avec une liste limitative de bénéficiaire), l'accident en question ayant mortellement blessé le salarié pendant la réparation d'un bateau et ayant donné lieu à condamnation pour homicide involontaire.
Si ces décisions sont des exceptions "heureuses" (normales ?), elles ne semblent pas remettre pas en cause le principe selon lequel la victime d'un accident du travail causé par l'employeur ne peut être indemnisée par la CIVI, alors même que le texte prévoyant une telle indemnisation a fait le choix d'exclure, par exemple, les victimes d'accidents de la route (plutôt bien indemnisées par le système spécifique mis en place) mais pas celles d'un accident du travail et que le régime d'indemnisation des accidents du travail n'est pas réputé pour être généreux.
Espérons que le revirement opéré sera suivi d'un revirement complet permettant de ne pas pouvoir continuer à dire que les victimes d'accident du travail ne méritent décidemment pas la même considération que les autres.
Si la justice sociale appelle peut être que le revenu perçu par un accidenté du travail soit soumis à l'impôt sur le revenu comme le revenu qu'il remplace, cette même justice sociale demande de manière certaine de cesser de considérer que, parce que ca coute cher, la victime de l'accident du travail doit pas être indemnisée de la totalité de son préjudice. Au contraire, si les entreprises, la sécurité sociale et l'Etat (chacun pour ce qui le concerne) indemnisent la totalité des préjudices subis, alors la prévention sera enfin rentable et sera alors probablement meilleure.